64

Le moribond

ouvrit son carnet à couverture plastifiée, dévissa le capuchon de son stylo, réfléchit

puis se mit à écrire.

C’était étrange ; alors qu’à

une époque le stylo courait sur le papier, semblant couvrir chaque feuille de

haut en bas comme par un acte de magie blanche, les mots peinaient maintenant, les

mots se traînaient, en grosses lettres tremblées, comme s’il était revenu à l’école

primaire dans sa propre machine à remonter le temps.

À l’époque, sa mère et son père

avaient conservé un peu d’amour pour lui. Amy ne s’était pas encore pleinement

épanouie et son propre avenir à lui, L’Étonnant Petit Gros d’Ogunquit et

Aspirant Hommosessual, n’était pas encore décidé. Il se revoyait assis dans la

cuisine inondée de soleil, en train de recopier lentement un livre de Tom Swift

sur un bloc Cheval bleu – mauvais papier jaunâtre marqué de lignes bleues –, un

verre de Coke à côté de lui. Il entendait la voix de sa mère dans le salon. Sa

mère qui bavardait au téléphone ou avec une voisine.

Le médecin dit que c’est

seulement de la graisse de bébé. Rien d’anormal au niveau des glandes, grâce à

Dieu. Et il est si intelligent !

Les mots qui grandissaient, lettre

après lettre. Les phrases qui grandissaient, mot après mot. Les paragraphes qui

grandissaient, une brique après l’autre dans ce grand rempart qu’était le

langage.

Ce n’est pas ma plus

grande invention, dit Tom d’une voix vibrante. Regardez bien ce qui va arriver

lorsque je retire la plaque, mais pour l’amour de Dieu, n’oubliez pas de vous

protéger les yeux !

Les briques du langage. Un

caillou, une feuille, une porte dérobée. Mots. Mondes. Magie. La vie et

l’immortalité. La puissance.

Je ne sais pas de qui il tient

ça, Rita. Peut-être de son grand-père. C’était un pasteur et on dit qu’il

faisait de magnifiques sermons…

Regardant les lettres s’améliorer

avec le temps. Les regardant se lier les unes aux autres, oubliée la copie, il écrit désormais. Rassemblant des idées, assemblant des intrigues. Après tout, le

monde n’était qu’un ensemble d’idées et d’intrigues. Il avait finalement eu sa

machine à écrire (mais il ne lui restait déjà plus grand-chose d’autre ; Amy

était au lycée, elle faisait partie du groupe des majorettes, de la société d’art

dramatique, du club d’éloquence, premier prix dans toutes les matières, les

fils de fer qu’on lui avait mis dans la bouche avaient maintenant disparu, et

sa meilleure amie au monde était Frannie Goldsmith… mais la graisse de bébé de

son frère n’avait pas encore disparu, même s’il avait treize ans, et il avait

commencé à se servir de mots longs comme le bras pour se défendre, et avec une

horreur grandissante s’était rendu compte de ce qu’était la vie, de ce qu’elle

était vraiment : une énorme marmite infernale, et il était le

missionnaire, tout seul dans cette marmite, celui qu’on faisait lentement

bouillir). La machine à écrire lui fit découvrir le reste. Au début, elle était

lente, si lente, et les fautes de frappe si nombreuses qu’elle l’exaspérait. Comme

si la machine s’opposait sournoisement à sa volonté. Mais il avait fait des

progrès et il avait commencé à comprendre ce qu’était véritablement la machine

– une sorte de conduit magique entre son cerveau et la page vierge qu’il

voulait conquérir. Quand l’épidémie de super-grippe avait éclaté, il pouvait

taper plus de cent mots à la minute et il parvenait enfin à suivre ses pensées

qui tournoyaient follement dans sa tête à les prendre au collet. Mais il n’avait

jamais complètement cessé d’écrire à la main se souvenant que Moby Dick avait été écrit ainsi de même que La Lettre écarlate et Le Paradis

perdu.

Avec les années, il avait formé

cette écriture que Frannie avait découverte dans son registre – pas de

paragraphes, pas de retraits, aucun repos pour l’œil. C’était un travail

terrible, épuisant pour la main tenaillée par les crampes – mais c’était un

travail d’amour. La machine à écrire avait été un instrument précieux, mais le

meilleur de lui-même, il l’avait toujours écrit de sa main.

Et c’est ainsi qu’il allait

maintenant transcrire ce qu’il lui restait encore à dire.

Il leva les yeux et vit des

busards tourner lentement dans le ciel, comme dans un film de Randolph Scott, ou

dans un roman de Max Brand. Une phrase qui aurait pu sortir d’un roman : Harold

vit les busards qui tournaient dans le ciel, attendant leur heure. Il les

regarda calmement, puis il se pencha sur son journal.

Puis il se pencha sur son journal.

Finalement, il s’était vu obligé

d’en revenir aux lettres traînantes, seule chose que son appareil moteur

hésitant lui permettait du temps de son enfance. Le souvenir nostalgique lui

revenait de la cuisine ensoleillée, du verre de Coke glacé, des vieux livres

moisis de Tom Swift. Maintenant, pensait-il (et écrivait-il), il aurait enfin

fait plaisir à sa mère et à son père. Il avait perdu sa graisse de bébé. Et

même s’il était encore techniquement puceau, il était moralement sûr de ne pas

être Hommosessual.

Il ouvrit la bouche et croassa :

– En pleine forme, maman.

Il était arrivé au milieu de la

page. Il regarda ce qu’il avait écrit, puis regarda sa jambe cassée qui avait

pris un si curieux angle. Cassée ? Le mot était bien faible. Elle était en

miettes. Il y avait cinq jours maintenant qu’il était assis à l’ombre de ce rocher.

Il n’avait plus rien à manger. Il serait mort de soif hier ou avant-hier si

deux grosses pluies n’étaient pas tombées. Sa jambe était en train de pourrir. Verdâtre,

elle dégageait une odeur de gaz. La chair avait tellement enflé qu’elle

gonflait son pantalon, tendant la toile kaki jusqu’à la faire ressembler à une

grosse saucisse.

Nadine n’était plus là depuis

longtemps.

Harold ramassa le revolver qui se

trouvait à côté de lui et vérifia le chargeur. Il l’avait vérifié au moins cent

fois depuis ce matin. Et lorsqu’il avait plu, il avait fait bien attention à

mettre son arme à l’abri. Il restait encore trois balles. Il avait tiré les

deux premières sur Nadine quand elle l’avait regardé et qu’elle lui avait dit

qu’elle s’en allait sans lui.

Ils sortaient d’une épingle à

cheveux, Nadine à la corde, Harold à l’extérieur sur sa Triumph. Ils n’étaient

plus qu’à une centaine de kilomètres de la frontière de l’Utah. Une flaque d’huile

à l’extérieur du virage. L’accident. Harold s’était longuement interrogé sur

cette flaque d’huile. Elle semblait presque trop parfaite. Une flaque d’huile

venue d’où ? Pas un véhicule n’avait dû monter jusqu’ici depuis

deux mois. Elle aurait eu amplement le temps de sécher. À croire que son œil rouge les surveillait, attendait le moment voulu pour faire apparaître une

flaque d’huile et mettre Harold hors jeu. Le laisser traverser les montagnes

avec elle, au cas où il aurait eu des problèmes, puis l’envoyer dans le décor, objet

devenu inutile.

La Triumph avait dérapé et s’était

écrasée contre la glissière de sécurité, projetant Harold en l’air comme on

envoie une coccinelle valser d’une chiquenaude. Et il avait senti une terrible

douleur dans sa jambe droite, entendu un affreux claquement mouillé quand elle

s’était cassée. Il avait hurlé. Puis une terre rocailleuse s’était précipitée

vers lui, une terre rocailleuse qui plongeait à pic vers le fond d’un ravin. Tout

en bas, il entendait de l’eau courir quelque part.

Il frappa le sol, rebondit très

haut, hurla encore, retomba sur sa jambe droite une fois de plus, l’entendit se

casser ailleurs, reprit son vol, retomba, roula sur lui-même et finalement alla

embrasser un arbre mort qui avait fait la culbute des années plus tôt au cours

d’un orage. S’il n’avait été là, il serait tombé jusqu’au fond du ravin où les

truites de montagne auraient pu se régaler de son cadavre, maintenant offert

aux busards.

Il écrivait dans son carnet, s’étonnant

encore de voir ces lettres tremblantes et enfantines : Je ne reproche

rien à Nadine. C’était vrai. Mais il ne l’avait pas toujours pensé.

Encore en état de choc, terriblement

secoué, la chair à vif, une horrible souffrance pour toute sensation dans sa

jambe droite, il avait essayé de remonter la pente en rampant. Loin au-dessus

de lui, il avait vu Nadine qui le regardait par-dessus la glissière de sécurité.

Tout petit à cette distance, son visage blanc ressemblait à celui d’une poupée.

– Nadine ! avait-il

crié dans un croassement rauque. La corde ! Dans la sacoche de gauche !

Elle s’était contentée de le

regarder. Il commençait à croire qu’elle ne l’avait pas entendu et il allait répéter

sa demande lorsqu’il vit sa tête pivoter à gauche, puis à droite, puis à gauche

encore. Très lentement. Elle lui faisait signe que non.

Nadine ! Je ne

peux pas remonter sans la corde ! Je me suis cassé la jambe !

Elle n’avait pas répondu. Elle ne

faisait plus que le regarder, sans même prendre la peine de secouer la tête. Il

eut l’impression de se trouver au fond d’un trou profond. Et elle, au bord du

trou, le regardait.

Nadine, lance-moi la

corde !

Encore ce lent mouvement de la

tête, aussi terrible que la porte d’une crypte se refermant lentement sur un

homme qui n’est pas encore mort, mais plutôt paralysé par quelque terrible

catalepsie.

NADINE ! POUR L’AMOUR

DE DIEU !

Enfin sa voix descendit jusqu’à

lui, faible, mais parfaitement audible dans le grand silence de la montagne.

– Tout était arrangé, Harold.

Je dois continuer. Je regrette.

Mais elle ne fit rien pour s’en

aller ; elle restait là, derrière la glissière de sécurité, le regardant allongé

cinquante mètres plus bas. Des mouches étaient déjà occupées à goûter son sang

sur les différents rochers qu’il avait heurtés dans sa chute.

Harold commença à remonter en

rampant, traînant derrière lui sa jambe brisée. Au début, il ne ressentit pas

de haine, n’éprouva pas le besoin de la percer d’une balle. Il n’avait qu’une

idée en tête : se rapprocher suffisamment pour voir son expression.

Il était un peu plus de midi. Il

faisait chaud. Des gouttes de sueur ruisselaient sur son visage, puis tombaient

sur les pierres aux arêtes vives sur lesquelles il se traînait. Il avançait en

se hissant sur les coudes et en poussant avec sa jambe gauche, tel un insecte

blessé. Sa respiration lui râpait la gorge, comme une lime brûlante. Combien de

temps essaya-t-il de remonter ? Il n’en avait aucune idée. Mais, une ou

deux fois, il heurta sa jambe blessée contre une pierre et une énorme bouffée

de douleur lui avait alors fait presque perdre conscience. Plusieurs fois, il

était retombé en arrière, gémissant d’impuissance.

Finalement, il avait compris qu’il

ne pouvait aller plus loin. Les ombres s’étaient allongées. Trois heures

avaient passé. Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il avait regardé

dans la direction de la route ; plus d’une heure, certainement. Dans sa

souffrance, il s’était totalement concentré sur les minuscules progrès qu’il

parvenait à accomplir. Nadine était sans doute partie depuis longtemps.

Mais elle était toujours là et, même

s’il n’était parvenu qu’à regagner un peu plus de cinq mètres, l’expression de

son visage était maintenant infernalement claire. C’était une expression de

chagrin et de pitié, mais ses yeux étaient vides, perdus dans le lointain.

Ses yeux étaient avec lui.

C’était alors qu’il avait

commencé à la haïr, qu’il s’était mis à tâter l’étui de son revolver. Le Colt

était toujours là, retenu durant sa chute par la sangle de cuir qui immobilisait

la crosse. Il la défit en faisant écran avec son corps pour qu’elle ne puisse

le voir.

– Nadine…

– C’est mieux ainsi, Harold,

crois-moi. Mieux pour toi, parce que sa manière serait beaucoup moins

douce. Tu le sais, non ? Tu ne voudrais pas le voir face à face, Harold. Il

est convaincu que celui qui trahit son camp trahira probablement l’autre. Il te

tuerait, mais d’abord il te rendrait fou. Il en a le pouvoir. Il m’a laissé le

choix. Ça… ou sa manière. J’ai choisi ça. Tu peux en finir rapidement si

tu as du courage. Tu sais ce que je veux dire.

Il vérifia le chargeur pour la

première des cent (peut-être mille) fois qui allaient suivre, sans sortir l’arme

de l’ombre de son coude meurtri.

– Et toi ? cria-t-il. Tu

ne trahis pas toi aussi ?

– Je ne l’ai jamais trahi

dans mon cœur, répondit-elle d’une voix triste.

– Je crois que c’est

exactement là que tu l’as trahi.

Il voulait qu’elle lise la totale

sincérité sur sa figure, mais en réalité il calculait la distance. Il pourrait tirer

deux fois, au maximum. Et chacun sait qu’un pistolet n’est pas très précis.

– Je crois qu’il le sait lui

aussi, reprit-il.

– Il a besoin de moi, et j’ai

besoin de lui. Tu n’as jamais été dans le coup, Harold. Si nous étions restés

ensemble, j’aurais… j’aurais pu te laisser me faire des choses. Cette petite

chose. Et tout aurait été perdu. Je ne pouvais pas courir le moindre risque

après tous ces sacrifices, ce sang, cette méchanceté. Nous avons vendu nos âmes

ensemble, Harold, mais il me reste encore suffisamment de moi-même pour vouloir

le plein prix de la mienne.

– Je vais te donner ce que

tu mérites, dit Harold qui réussit à se mettre à genoux.

Le soleil était éblouissant. Le

vertige le saisit dans ses mains rudes, affolant le gyroscope qui maintenait

son équilibre dans sa tête. Harold crut entendre des voix – une voix – rugissant

de surprise et de colère. Il appuya sur la détente. Le coup de feu roula entre

les montagnes, rebondit, renvoyé d’une paroi à l’autre, craquements, déchirements

qui n’en finissaient pas de s’éteindre. Une expression comique de surprise

apparut sur le visage de Nadine.

Et Harold pensa dans une sorte d’ivresse

triomphante : Elle ne croyait pas que j’aurais le culot ! La

bouche de la femme était grande ouverte, comme un O. Elle le regardait

avec des yeux ronds. Les doigts de ses mains se contractèrent et palpitèrent, comme

si elle s’apprêtait à jouer une étrange musique de piano. Le moment était si

doux que Harold perdit une seconde ou deux à le savourer, sans se rendre compte

qu’il ne l’avait pas touchée. Quand il le comprit, il braqua à nouveau son arme

sur elle, soutenant son poignet droit de sa main gauche.

Harold ! Non !

Tu ne peux pas !

Je ne peux pas ? Une si

petite chose, appuyer sur une détente. Bien sûr que je peux.

Elle paraissait trop étonnée pour

bouger et, quand le cran de mire vint se nicher dans le creux de la gorge de

Nadine, il eut tout à coup la certitude glacée que c’était ainsi que tout

devait se terminer dans un dernier éclat de violence insensée.

Il la tenait, au bout de sa ligne

de mire.

Mais quand il commença à presser

la détente, deux choses se produisirent. De la sueur coula dans ses yeux et le

fit voir double. Puis il commença à glisser. Il se dit plus tard que l’amas de

cailloux avait cédé, ou que sa jambe blessée avait dû lâcher. Peut-être

était-ce même vrai. Mais on aurait dit… on aurait dit qu’on l’avait poussé et, durant les longues nuits qui avaient suivi il n’était pas parvenu à se

convaincre du contraire. Le jour, Harold demeurait obstinément rationnel, mais

la nuit s’emparait de lui la hideuse certitude qu’en fin de compte c’était l’homme

noir lui-même qui était intervenu pour l’écraser. La balle qu’il avait voulu

placer en plein dans le creux de la gorge de Nadine se perdit, décrivant une

large et belle courbe dans l’azur d’un ciel indifférent. Harold redescendit en

culbutant jusqu’à l’arbre mort, tordant et retordant sa jambe droite sous son

corps, enveloppé dans un linceul d’atroces souffrances, de la cheville jusqu’au

bas-ventre.

Il s’était évanoui en frappant le

tronc d’arbre. Lorsqu’il avait repris connaissance, la nuit venait de tomber et

la lune, aux trois quarts pleine, s’élevait solennellement au-dessus du ravin. Nadine

n’était plus là.

Il passa la nuit dans un délire d’angoisse,

sûr qu’il ne parviendrait pas à remonter jusqu’à la route, sûr qu’il mourrait

dans le ravin. Au matin, il avait pourtant repris son ascension, trempé de

sueur, fou de douleur.

Il avait commencé vers sept

heures, à peu près au moment où les gros camions orange du comité des

inhumations sortaient de la gare routière, à Boulder. Finalement, il avait posé

une main sanglante sur la glissière de sécurité à cinq heures de l’après-midi. Sa

moto était toujours là, et il pleura presque de soulagement. Frénétique, il

pêcha des boîtes de conserve et un ouvre-boîte dans une sacoche de la moto, ouvrit

une boîte, piocha dedans à deux mains et s’empiffra de corned-beef. Mais la

viande avait mauvais goût et, après de longs efforts, il la vomit.

Il commença à admettre le fait

inéluctable de sa mort prochaine. Il se coucha à côté de la Triumph et se mit à

pleurer, sa jambe brisée sous son corps. Puis il parvint à dormir un peu.

Le lendemain, une averse

torrentielle le laissa trempé, grelottant. Sa jambe avait commencé à sentir la

gangrène. Dans la soirée, il s’était mis à écrire dans son carnet à couverture

plastifiée et il avait découvert pour la première fois que son écriture commençait

à régresser. Il s’était souvenu d’un roman de Daniel Keyes, Des fleurs pour

Algernon. Des savants avaient transformé un concierge un peu retardé en

génie… pour quelque temps. Ensuite, le pauvre type avait commencé à régresser. Comment

s’appelait-il ? Charley quelque chose ? Oui, c’était bien ça, car le

titre du film qu’ils avaient tourné ensuite était Charly. Pas aussi bon que le

roman, plein de merde psychédélique style années soixante, s’il se souvenait

bien, mais assez bon quand même. Harold allait beaucoup au cinéma autrefois, et

il avait vu encore plus de films sur le magnétoscope familial. À l’époque où le

monde était ce que le Pentagone aurait appelé, ouvrez les guillemets s’il vous

plaît, une alternative viable, on ferme les guillemets. La plupart du temps

seul.

Il écrivait dans son carnet et

les lettres tremblées s’alignaient lentement :

Sont-ils tous morts ? Tous

les membres du comité ? Si c’est le cas, je le regrette. J’ai été trompé. Piètre

excuse pour mes actes, mais je jure que c’est la seule excuse qui ait jamais

compté pour moi. L’homme noir est aussi réel que la super-grippe, aussi réel

que les bombes atomiques qui attendent quelque part dans leurs armoires de

plomb. Et quand la fin approche, et quand elle est aussi horrible que les

braves gens ont toujours su qu’elle le serait, il n’y a qu’une chose à dire

quand tous ces braves gens s’approchent du Trône du Jugement : J’ai été

trompé.

Harold lut ce qu’il avait écrit

et s’essuya le front d’une main émaciée et tremblante. Ce n’était pas une bonne

excuse, mais une mauvaise. Enjolive-la tant que tu voudras, elle pue quand même.

Si quelqu’un lit ce paragraphe après avoir lu ton registre, tu feras figure de

parfait hypocrite. Il s’était vu comme le roi de l’anarchie, mais l’homme noir

avait su lire en lui et l’avait réduit sans effort à l’état d’un sac d’os tremblotants

qui mourait de sa vilaine mort sur la grand-route. Sa jambe avait gonflé comme

une chambre à air, elle sentait la banane trop mûre, et il était là, assis, tandis

que les busards piquaient et remontaient, portés par les courants thermiques, il

était là en train de vouloir rationaliser l’indicible. Il était tombé, victime

de son adolescence inachevée, c’était aussi simple que cela. Il avait été

empoisonné par ses propres visions de mort.

Maintenant qu’il mourait, il

sentait qu’il avait retrouvé un peu de bon sens et même peut-être un peu de

dignité. Il ne voulait pas rabaisser cela avec de mauvaises excuses qui

clopineraient sur la page entre deux béquilles.

– J’aurais pu être quelqu’un

à Boulder, dit-il d’une voix paisible.

Et cette vérité, si simple et si

atroce, aurait pu lui arracher des larmes s’il n’avait été si fatigué, s’il n’avait

été tellement déshydraté. Il regarda les lettres trembler sur la page, puis le

Colt. Tout à coup il voulut en finir et il pensa à la manière la plus vraie et

la plus simple de mettre un terme à sa vie. Plus que jamais, il semblait

nécessaire d’écrire et de laisser un message pour celui qui pourrait le trouver

un jour, dans un an ou dans dix.

Il prit son stylo. Il réfléchit. Puis

il se mit à écrire :

Je regrette

mes actions destructrices, mais je ne nie pas les avoir accomplies de mon

propre gré. Je signais toujours mes devoirs de mon nom : Harold Emery Lauder.

Je signais aussi mes manuscrits – pauvres petites choses. Et Dieu me vienne en

aide, j’ai même écrit mon nom sur le toit d’une grange en lettres d’un mètre de

haut. Je veux signer ceci d’un nom qui me fut donné à Boulder. Je ne pouvais l’accepter

alors, mais je le prends librement aujourd’hui.

Je vais mourir sain d’esprit.

Et il signa, très proprement, en

bas de la page : Faucon.

Il glissa le carnet à couverture

plastifiée dans la sacoche de la Triumph. Il revissa le capuchon du stylo qu’il

glissa dans la poche de sa chemise. Il enfonça le canon du Colt dans sa bouche

et regarda le ciel bleu. Il pensa à un jeu auquel ils jouaient quand ils

étaient enfants, un jeu qui lui avait valu bien des moqueries, parce qu’il n’osait

jamais aller tout à fait jusqu’au bout. Sur une route de terre, là-bas, il y

avait une carrière de gravier et vous sautiez d’en haut, d’une hauteur

terrifiante, avant de toucher le sable, de rouler et de rouler comme une balle,

pour ensuite remonter jusqu’en haut et tout recommencer.

Mais pas Harold. Harold s’avançait

au bord du trou et entonnait, Un… deux… trois ! comme les autres, mais

le talisman ne fonctionnait jamais pour lui. Ses jambes restaient paralysées. Il

ne pouvait se résoudre à sauter. Et les autres parfois le poursuivaient jusque

chez lui, l’abreuvaient d’insultes, l’appelaient Harold gras-du-bide.

Il pensait : Si j’avais

pu me décider à sauter une seule fois… juste une seule fois… je ne serais

peut-être pas ici. Tant pis, c’est la dernière fois qui compte.

Il compta mentalement : Un…

deux… TROIS !

Il appuya sur la détente.

Le coup partit.

Harold eut

un soubresaut.

 

le fléau
titlepage.xhtml
Le Fleau Stephen King_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_006_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_006_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_006_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_012.htm
Le Fleau Stephen King_split_013_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_013_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_013_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_013_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_014.htm
Le Fleau Stephen King_split_015.htm
Le Fleau Stephen King_split_016.htm
Le Fleau Stephen King_split_017.htm
Le Fleau Stephen King_split_018.htm
Le Fleau Stephen King_split_019.htm
Le Fleau Stephen King_split_020.htm
Le Fleau Stephen King_split_021.htm
Le Fleau Stephen King_split_022.htm
Le Fleau Stephen King_split_023.htm
Le Fleau Stephen King_split_024.htm
Le Fleau Stephen King_split_025.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_026_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_027.htm
Le Fleau Stephen King_split_028.htm
Le Fleau Stephen King_split_029.htm
Le Fleau Stephen King_split_030.htm
Le Fleau Stephen King_split_031.htm
Le Fleau Stephen King_split_032.htm
Le Fleau Stephen King_split_033.htm
Le Fleau Stephen King_split_034.htm
Le Fleau Stephen King_split_035.htm
Le Fleau Stephen King_split_036.htm
Le Fleau Stephen King_split_037.htm
Le Fleau Stephen King_split_038.htm
Le Fleau Stephen King_split_039.htm
Le Fleau Stephen King_split_040.htm
Le Fleau Stephen King_split_041.htm
Le Fleau Stephen King_split_042.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_043_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_044.htm
Le Fleau Stephen King_split_045.htm
Le Fleau Stephen King_split_046.htm
Le Fleau Stephen King_split_047.htm
Le Fleau Stephen King_split_048.htm
Le Fleau Stephen King_split_049.htm
Le Fleau Stephen King_split_050.htm
Le Fleau Stephen King_split_051.htm
Le Fleau Stephen King_split_052.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_053_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_054.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_012.htm
Le Fleau Stephen King_split_055_split_013.htm
Le Fleau Stephen King_split_056.htm
Le Fleau Stephen King_split_057.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_058_split_012.htm
Le Fleau Stephen King_split_059.htm
Le Fleau Stephen King_split_060.htm
Le Fleau Stephen King_split_061.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_062_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_063.htm
Le Fleau Stephen King_split_064.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_065_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_066_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_067.htm
Le Fleau Stephen King_split_068.htm
Le Fleau Stephen King_split_069_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_069_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_069_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_069_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_069_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_070.htm
Le Fleau Stephen King_split_071.htm
Le Fleau Stephen King_split_072.htm
Le Fleau Stephen King_split_073.htm
Le Fleau Stephen King_split_074_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_074_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_074_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_074_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_075.htm
Le Fleau Stephen King_split_076.htm
Le Fleau Stephen King_split_077.htm
Le Fleau Stephen King_split_078.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_012.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_013.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_014.htm
Le Fleau Stephen King_split_079_split_015.htm
Le Fleau Stephen King_split_080.htm
Le Fleau Stephen King_split_081.htm
Le Fleau Stephen King_split_082.htm
Le Fleau Stephen King_split_083.htm
Le Fleau Stephen King_split_084.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_085_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_010.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_011.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_012.htm
Le Fleau Stephen King_split_086_split_013.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_000.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_001.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_002.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_003.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_004.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_005.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_006.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_007.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_008.htm
Le Fleau Stephen King_split_087_split_009.htm
Le Fleau Stephen King_split_088.htm
Le Fleau Stephen King_split_089.htm
Le Fleau Stephen King_split_090.htm
Le Fleau Stephen King_split_091.htm